le moine gyrovague

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RDC 2, après 4 jours au fond de la brousse

Kasanza


 

Voilà des nouvelles, courage... c'est un peu long mais c'est à la mesure de mon enthousiasme ! Et, désolé, les connexions sont trop lentes pour mettre des photos sur Picassa.

Le 18 juin… durant la Seconde Guerre Mondiale, il y avait eu le fameux appel du Général de Gaulle depuis Londres… je crois qu’à présent, cette date restera dans nos mémoires comme celle de l’appel de la brousse ! Nous quittons le monastère de Mvanda vers 5h15 du matin à bord d’un Toyota 4x4 de Kazansa avec Dom Franco et un chauffeur, pour faire les 130 kilomètres qui séparent Kikwit de Kasanza où se trouvent nos frères. 130 kilomètres, oui, mais… de piste, et… de mauvaise piste ! Il est quasiment impossible de dépasser (très rarement) les 40 km/h, on est souvent obligé de rouler au pas pour ne pas risquer de s’ensabler. Plus nous nous enfonçons dans la grande profondeur de la brousse, plus la piste se rétrécie. Inutile de vous dire qu’il n’y a aucun panneau indicateur et qu’il vaut mieux connaître chaque recoin du chemin pour ne pas risquer de se perdre ! Ceux qui ont parcouru cette route, reconnaîtrons avec moi que l’extraordinaire bon côté de l’aventure est de plonger dans l’Afrique profonde… celle qui ne connaît pas le tourisme, qui est restée « originelle ». Tant de petits hameaux traversés, de maisons en pisé et en palme, d’enfants aux yeux grands ouverts quand ils s’aperçoivent qu’il y a des blancs dans la voiture… Nous traversons des paysages assez différents dont un immense plateau de brousse sans aucun arbre. Nous nous arrêtons pour nous dégourdir les jambes et nous soulager le dos (mis à rude épreuve) dans un petit village. Il est encore tôt, si bien que nous avons du mal à trouver quelques bananes à acheter pour nous sustenter. Les habitants nous regardent, nous saluent, mais personne ne vient vraiment vers nous. Nous reprenons la route, Dom Franco nous indiquant que nous sommes à mi-chemin. La dernière moitié est plus sportive, comme pour nous faire remarquer que les choses se méritent ! Vers 11 heures, Dom Franco nous montrent un bosquet d’arbres sur un plateau : c’est le monastère ! Tout le monde a les yeux rivés sur ce bosquet en espérant qu’il sera atteint le plus vite possible ! Oui mais… avant… il faut changer de vallée, descendre vers une grosse rivière par une piste particulièrement secouante, traverser la rivière sur un pont , s’arrêter pour admirer la rivière qui ressemble plus à un rapide et le pont, puis remonter sur le plateau… Et là, on voit des sourires réapparaître sur les visages, nous arrivons ! Une fois franchies les portes du monastères, les cloches annoncent l’arrivée de l’Abbé Général et les frères accourent des quatre coins du monastère pour nous saluer au son du tamtam, des chants et des danses. Après 7 heures de piste, nous sommes « un peu » fourbus mais revigorés par la chaleur de l’accueil.

Après le repas que nous partageons avec la communauté au réfectoire, nous avons droit à 2 heures de repos avant de visiter le monastère. C’est frère Evariste, prieur, qui se charge de notre petite troupe. Le monastère a été construit à la fin des années 50, en provisoire… et comme dans la vie monastique, il arrive que le provisoire devienne définitif… les bâtiments sont toujours là, ce qui donne une tonalité un peu frustre. Tout est de plein pied, ouvert sur la nature. Comme la communauté compte un bon nombre de frères en formation initiale (au moment de notre visite, 3 jeunes profès, 6 novices, 1 postulant), les lieux de vies entre le noviciat, le monasticat et la communauté sont bien délimités. Aux limites de la clotûre se trouve les principales activité intra-muros : un grand jardin potager, un poulailler avec environ 500 poules, un moulin qui transforme en farine maïs, manioc et arachide. Les frères devraient lancer sous peu de la farine de maïs en sachet pour essayer de développer davantage leur économie et les rentrées. La propriété fait plus de 4 000 hectares occupés par différentes fermes et quelques cultures. Environ 1 000 vaches à viande forment le troupeau. Ce fut une excellente économie car les frères pouvaient vendre leurs bêtes en Angola, mais depuis que la frontière avec ce pays est fermée, il est bien difficile de trouver des débouchés en RDC. Nous visitons aussi l’hôtellerie où une case est réservée aux aspirants, des jeunes qui viennent passer un mois aux côtés de la communauté pour discerner leur vocation. L’office est en français, accompagné par un petit orgue ; seuls l’office de Sexte et le Salve Regina à l’office de complies sont chantés en Kikongo, la langue locale de la région.

Le soir, nous rencontrons toute la communauté au scriptorium (ils sont environ 25 présents, 3 sont aux études en Europe). L’Abbé Général explique ce qu’est son ministère et en quoi consiste sa visite, puis Mère Regina et moi nous présentons rapidement aux frères.

Le lendemain, l’Abbé Général commence ses rencontres avec les frères, Mère Regina et moi rencontrons les frères dans leur emploi. Je passe un long moment avec le Père Maître après avoir salué tout le noviciat. Son bureau est un peu à l’écart, dans une case. Il m’explique la manière dont se déroule le long processus d’admission des postulants car il y a énormément de demandes. Généralement, les aspirants viennent à plusieurs durant l’été pour approcher la réalité de la vie monastique, mais ils doivent être recommandés par un curé de paroisse, un père spirituel, un catéchiste… Après quoi, le Père Maître fait son discernement et accepte ou n’accepte pas l’entrée au postulat. Le programme des cours est très bien élaboré et un certain nombre de frères de communauté interviennent au noviciat pour y dispenser un enseignement. Etant donné l’éloignement du monastère, il est très difficile de compter sur un professeur extérieur, Kasanza est probablement le monastère le plus « inaccessible » de l’Ordre… !

L’après-midi, je passe un long moment au jardin où le frère responsable m’explique les différentes cultures potagères. La difficulté vient de la pauvreté de la terre, qui d’ailleurs est plus du sable que de la terre. Il faut donc beaucoup arroser (les frères, grâce à une turbine près d’un cours d’eau ont l’eau courante), épandre du fumier (quand on en trouve)… Les légumes ainsi cultivés sont la base de la nourriture des frères avec la farine de maïs et de manioc qui permet de faire du pain et du « foufou » (une pâte-purée de manioc et maïs).

En fin d’après-midi, un gros orage éclate et nous nous retrouvons dans le noir, sans électricité. Il pleut abondamment durant près de 3 heures ce qui amène un peu de fraîcheur. Nous célébrons Vêpres et Complies à la lumière de nos lampes torches, la conférence que devait donner Dom Eamon attendra un climat plus favorable, la pluie torrentielle tombant sur les toits en tôle fait un bruit assourdissant.

C’est finalement le lendemain matin, après Tierce, que Dom Eamon donne une conférence à la communauté sur l’exhortation post-synodale Africae munus de Benoît XVI. Dans la matinée, je poursuis ma visite des emplois et des frères.

J’ai aussi l’occasion de mieux faire connaissance avec l’histoire de cette communauté. C’est en 1957 que le Père Abbé d’Achel, accompagné de deux moines, prospecte pour trouver un terrain. Ils choisissent Kasanza, à 130 kilomètres de Kikwit, dans la province de Bandudu. Le 11 février 1958, la vie régulière débute avec 6 frères bientôt rejoint par deux autres.  En 1964, des troubles éclatèrent au Kwilu et finalement la communauté fut évacuée par les hélicoptères de l’ONU. En 5 minutes, les 16 frères abandonnaient 6 ans de labeur. Le retour, en septembre 1966, fut sans doute très pénible pour les frères : le monastère avait été entièrement pillé et saccagé, et les populations alentours étaient dans une situation de misère extrême. La vie régulière reprit, la communauté grandit… En 1985, le Pape Jean-Paul II nomma le Prieur de Kikwit, le Père Mununu, évêque auxiliaire de Kikwit (il deviendra évêque titulaire en 1986 et est toujours en charge aujourd’hui).

La communauté s’est toujours investie dans un rôle de développement de la population environnante. Plutôt que de faire trop d’assistanat, on essaie de promouvoir l’éducation et le travail. Et, si cela est possible, les villageois qui viennent faire moudre leur grain au moulin paie une somme modique, ils achètent également à prix symbolique des produits de premières nécessités (savon, sucre, sel, viande…) à la boutique.

Dans l’après-midi, je me rends avec un frère au dispensaire situé non loin du monastère. Ce sont désormais 4 sœurs d’une congrégation diocésaine qui en ont la charge. En fait, c’est un petit centre avec un petit hôpital de brousse, une maternité, un orphelinat et une école. C’est évidement bien pauvre et la salle d’opération ferait fuir bon nombre d’entre nous. Pourtant, le médecin qui opère ici dans des conditions précaires, doit sauver bien des vies car la structure hospitalière la plus proche est… très loin ! Ici aussi, difficile de ne pas penser au frère Luc de Tibhirine… j’explique aux sœurs qui il était et ce qu’il faisait, elles ont une mission fort semblable. Nous visitons chaque « département » de l’hôpital… dans la salle « maternité », un petit garçon se remet de sa venue au monde le matin même, une jeune maman allaite ses jumeaux. C’est poignant. La visite de l’orphelinat est aussi touchante, deux petits bonhommes de 3 ou 4 ans se saisissent chacun d’une de mes mains pour ne plus les lâcher. Deux « mamans » s’occupent des 16 orphelins qui vivent ici. Grâce à une bienfaitrice, on est en train de construire un petit bloc sanitaire pour améliorer l’hygiène.

Le jeudi matin, Dom Eamon poursuit ses rencontres avec les frères dans une case un peu à l’écart des bâtiments conventuels. Après Tierce, le Père Maître m’a demandé de donner une conférence au noviciat sur les enjeux de la formation initiale. C’est une rencontre sympathique avec un beau groupe de jeunes frères. Après quoi, en compagnie de Mère Regina, deux frères nous emmènent à travers la brousse pour voir l’installation qui produit l’électricité : en contrebas du monastère se trouve une rivière avec une impressionnante cascade. Grâce à un canal construit pat leur soin les frères font fonctionner une turbine hydro-électrique, elle fonctionne jour et nuit et fournit l’électricité du monastère. Ensuite, nous allons voir la source qui jaillit encore un peu plus bas : une pompe qui fonctionne avec une roue à aube alimente le monastère en eau potable et permet un accès à l’eau aux villageois. Nous rentrons en passant par ce qui fut le premier monastère : quelques constructions en dur aujourd’hui habitées par des employés du monastère. Les enfants ne tardent pas à venir nous entourer et poussent des rires et des cris de joie quand je les prends en photo et leur montre leur frimousse sur l’écran de mon appareil. Dans l’après-midi, pendant que Dom Eamon et Mère Regina travaillent, je prends part à un match de football qui oppose le noviciat aux jeunes profès ! Je n’ai plus tout à fait 20 ans mais réussi à jouer les 2 mi-temps. C’est un très bon moment de partage et de joie. Mère Regina vient faire quelques photos et elle est toute éberluée de voir le Secrétaire de l’Abbé Général en train de jouer au foot avec les frères !

J'en suis quitte pour un bon mal de dos !

Nous sommes revenus à Kikwit après 5 heures de piste ce matin. Nous restons jusqu'à mardi.



22/06/2012
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